Mar 07 2007

Les cheminées, dans un désert blanc, divisent l’Islande

New York Times
4 janvier
Par Sarah Lyall

Dans les profondeurs de l’hiver il n’y a presque rien à voir ici, que de la neige et de la roche ; de la neige à travers un paysage accidenté et surnaturel, de la neige sur les montagnes enveloppées de brume, de la neige qui s’étend à ce qui pourrait ressembler à la fin du monde.

Mais posé dans cette région montagneuse du centre de l’Islande, un chantier, presque achevé, de barrages, de tunnels et de réservoirs, a commencé à réorganiser ce désert blanc, où la montagne Karahnjukar rencontre deux puissantes rivières qui s’écoulent du plus grand glacier de l’Europe.

C’est le projet hydro-électrique de Karahnjukar d’un coût de 3 milliards de $ : une entreprise gigantesque qui exploitera les rivières pour produire de l’électricité réservée à un seul client : l’usine de production d’aluminium appartenant à Alcoa, la plus grande compagnie d’aluminium du monde.

Ce projet a été au centre d’une bataille des plus violentes et des plus controversées de la récente histoire islandaise. C’est le résultat d’années d’effort du gouvernement de centre-droite pour augmenter l’investissement international en Islande, le projet aurait déjà commencé à revitaliser l’Est sous-peuplé de l’Islande.

Pourtant il a aussi mobilisé une coalition d’habitants très mécontents et de plus en plus importante, qui estiment que les autorités ont sacrifié le patrimoine le plus précieux de l’Islande – sa terre primitive elle-même – à l’industrie lourde étrangère.

Maintenant, avec ces trois autres projets d’usine hydraulique, associés aux projets de fonderies d’aluminium, les écologistes affirment que toute chance de protéger la spectaculaire beauté si fragile et si naturelle de l’Islande va disparaître. “Si tous ces projets réussissent à aboutir, c’est une apocalypse environnementale pour cette région montagneuse de l’Islande ; ils auront aménagé chaque bassin fluvial et géothermique glaciaire majeur aux seuls usages de l’industrie lourde,” explique Olafur Pall Sigurdsson, un des organisateurs de “Sauver l’Islande », une coalition d’associations s’opposant à ce futur développement industriel.

“C’est une nature très rare dont nous sommes les gardiens et que nous gaspillons”.

La question de base, c’est-à-dire la façon d’équilibrer développement économique et respect de la nature, se pose ici comme dans des toutes les autres batailles environnementales. Les détails sont toujours légèrement différents en Islande, isolée géographiquement et flottant entre l’Europe et l’Amérique.

L’Islande, un des endroits les plus vierges du monde développé, est à peine plus grande que l’Indiana, avec une population d’environ 300 000 personnes (alors que l’Indiana a 6.3 millions d’habitants). Deux tiers de sa population vit dans la capitale, Reykjavik ; les autres habitants sont dispersés au travers des 64 000 Km2 de roche volcanique, de toundra déboisée et de plaines rases. 70 % de cette terre est inhabitable.

Les Islandais ont tendance à considérer avec respect et crainte leur environnement imprévisible – taillé dans des volcans et dans la glace avec de nombreuses chutes d’eau stupéfiantes, de geysers, de fjords et de glaciers. L’air est si pur que le Protocole de Kyoto a donné à l’Islande le droit d’augmenter ses émissions de gaz à effet de serre de 10 % des niveaux de 1990.

Les projets encore en suspens planifient quatre barrages, huit nouvelles usines géothermiques et hydro-électriques, deux nouvelles fonderies (dont l’une appartiendrait à Alcoa) et l’augmentation de capacité de la fonderie déjà existante. Si tous ces projets se réalisaient, cela signifierait que des sociétés étrangères pourraient bien produire jusqu’à 1.6 millions de tonnes d’aluminium par an en Islande.

On leur permet aussi de polluer : une autre exception de Kyoto a donné, aux industries lourdes très gourmandes en énergie et utilisatrices d’énergie renouvelable en Islande, le droit d’émettre 1.6 millions de tonnes m3 supplémentaires de dioxyde de carbone par an jusqu’à 2012.

En tout, les nouvelles fonderies exigeront environ huit fois plus d’électricité que la consommation actuelle de toute l’Islande, soumettant à une tension énorme les rivières et les gisements thermales du pays, explique Hjorleifur Guttormsson, ancien ministre de l’Industrie et de l’Energie d’Islande de 1980 à 1985. Pour Guttormsson, naturaliste, la pollution pose un autre problème : les usines d’aluminium sont de très gros émetteurs de dioxyde de soufre, de fluorure d’hydrogène et d’autres produits chimiques.

Pourtant Alcoa a promis qu’il adapterait des contrôles de pollution “dernier cri” à leur nouvelle usine et a déjà exigé de sa compagnie la promesse d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25 % par rapport à 1990..

Un porte-parole de la société, Kevin Lowery, a annoncé que la nouvelle fonderie ne produirait que 1.8 tonnes de dioxyde de carbone pour chaque tonne d’aluminium produite -soit un total de 541 000 tonnes par an – à comparer aux 13 tonnes de dioxyde de carbone par tonne d’aluminium émises si le four était alimenté au charbon. “Les émissions de cette usine seront moins importantes qu’une autre usine de cette taille, ailleurs dans le monde,” a-t-il ajouté.

Jon Sigurdsson, le ministre de l’Industrie et du Commerce, a annoncé que les nouveaux projets étaient soumis à de multiples contrôles, et dans quelques cas, à des référendums locaux. “Le gouvernement a toujours appliqué des normes environnementales rigoureuses à chacun des projets de développement, et il prépare une législation qui exposerait un plan général pour le pays, désignant les secteurs à protéger et ceux qui ont un potentiel de développement.. ”

“Nous sommes au seuil d’une nouvelle ère,” a-t-il dit. “Nous voulons prendre en considération les deux problématiques dans une réflexion d’ensemble finale où l’environnement est aussi capital que tout autre problème.

Sigurdur Arnalds, un porte-parole de « Landsvirkjun », la compagnie nationale d’électricité, qui développe le projet de Karahnjukar, a eu ce mot : “la Démocratie aura le dernier mot. Naturellement, nous n’utiliserons pas toutes les possibilités qui sont à notre disposition ; nous devons savoir nous arrêter.”

L’Islande est un pays prospère, mais sa richesse est concentrée principalement à Reykjavik. Le gouvernement a longtemps cherché des moyens de soutenir l’économie en exploitant la seconde richesse du pays – la plus grande ressource naturelle, après le poisson : l’énergie électrique, produite par un réseau énorme de rivières et de gisements géothermiques souterrains..

Mais puisque la production d’électricité n’était pas exportable facilement, l’idée a germé d’importer les produits qui en ont particulièrement besoin. La production d’aluminium semble être parfaitement convenir. C’est une industrie gourmande en énergie qui nécessite une libre circulation vers des ports pour importer des matières premières et exporter le produit fini.

L’Islande a de l’énergie propre disponible, des côtes abondantes et se trouve à proximité du lucratif marché européen. La première usine d’aluminium de l’Islande a été construite dans les années 1960 ; il en y a maintenant deux, près de Reykjavik. “Le gouvernement a fait tout son possible pour faciliter l’implantation de ces usines,” explique Kolbrun Halldorsdottir, un député du Mouvement Gauche-vert. “Ils se sont arrangés comme l’Arabie Saoudite a organisé le marché du pétrole. Ils ne croient pas à un berceau d’emplois fondé sur une industrie du tourisme dans cette région. Ils ne voient que par l’aluminium.”.

Le projet de Karahnjukar, pendant sa planification, a eu l’appui du gouvernement de coalition de centre-droite, qui a été au pouvoir pendant 12 ans. Dans des sondages d’opinion, la majorité des Islandais l’a aussi successivement soutenu, à cause de la création d’emplois et de l’apport d’argent pour les fjords orientaux.

Mais les écologistes disent que le projet dévastera environ 3 % de la surface de l’Islande, détruisant ou affectant 60 chutes d’eau, sera la cause d’un ravinement qui répandra du sable et de la poussière à travers les régions montagneuses et sur les fermes, provoquera des inondations dans une région recouverte naturellement d’une mousse endogène nécessaire à l’alimentation des rennes, empêchant la nidification des oies aux pieds roses et d’innombrables autres espèces d’oiseaux, comme le gyrfalcon et le ptarmigan.

Ils assurent, aussi, que le barrage est instable, construit sur une croûte terrestre fracturée exceptionnellement mince, aux abords de la plupart des secteurs volcaniques les plus actifs du monde. Juste au sud, le glacier Vatnajokull qui fond rapidement à cause du réchauffement climatique, ajoute à l’incertitude géologique locale.

En 2001, l’Agence de Planification islandaise avait rejeté le projet de Karahnjukar, décidant que n’importe quels avantages économiques ne pourraient pas indemniser des catastrophes environnementales potentielles. Mais le ministre de l’Environnement islandais de l’époque avait annuler la décision, rajouté quelques nouvelles conditions et avait ensuite autorisé le projet d’aller plus avant.
Actuellement les adversaires du projet affirment que beaucoup d’Islandais n’avaient pas apprécié sa véritable échelle et son impact environnemental potentiel. ”

Pour Andri Snaer Magnason, un poète, dramaturge et romancier, “il est facile d’induire en erreur la population et il est possible que même les politiciens n’aient pas vraiment compris ce qu’il se passait”. L’année dernière, Magnason a publié ” le Pays des rêves, “une polémique dévastatrice qui replace les questions environnementales de l’Islande dans une perspective mondiale. Le livre a été vendu 18 000 exemplaires – l’équivalent, en pourcentage, à 18 millions de ventes aux Etats-Unis.

En septembre, Omar Ragnarsson, un des journalistes de télévision les plus respectés du pays, a annoncé qu’il ne pouvait plus couvrir le projet de Karahnjukar de son impartialité de journaliste et qu’il ferait campagne contre. Dans un pays où les manifestations publiques sont rares, il a mené un rassemblement “antibarrage” à Reykjavik, suivi par 8 000 à 13 000 personnes.

Vu d’en haut, le chantier domine le paysage. Avec 800 mètres de large et 215 mètres de haut, le barrage est le plus haut de la sorte en Europe. Le réservoir, qui couvrira finalement 35 km2 , s’allonge à l’intérieur d’une bande de terre et laisse le lit de la rivière vide, creusé dans la roche ….

L’eau détournée sera convoyée par 70 Km de tunnels forés dans les montagnes vers une nouvelle station d’hydro-électricité construite profondément à l’intérieur d’une montagne dans la Vallée Fljotsdalur. Finalement, l’électricité sera transportée sur une cinquantaine de km de lignes électriques aériennes vers la fonderie d’ALCOA, par un réseau édifié sur le bord d’un fjord dans la ville de Reydarfjordur.

On suppose que la fonderie commencera à produire de l’aluminium cet été, mais dès à présent les premiers effets apparaissent : il y a un boom de la construction qui se fait ressentir jusque dans l’est. “Cela ressemble à une ruée vers l’or, pour l’instant chacun est ivre mais vous savez que la gueule de bois viendra,” philosophe Greta Osk Sigurdardottir, éleveur et fermier en produit laitier, qui vit dans ce secteur et qui s’oppose au projet.

Reydarfjordur, qui compte une population de 650 personnes, se voit dotée de son premier centre commercial. Le prix des logements a augmenté. Les habitants qui étaient partis reviennent et l’argent que cela génère, commence à permettre les agréments modernes des villes, plaide Helga Jonsdottir, le maire de Reydarfjordur et de cinq autres villages.

Pourtant d’autres ne sont pas si heureux. M. H Gudmundur Beck a passé ses 57 premières années à Reydarfjordur, à élever des moutons et des poulets dans la ferme familiale. Quand 18 pylônes électriques ont été construits sur les terres alentour, le gouvernement a fait interdire le pâturage, Beck a dû emmener ses animaux à l’abattoir et s’est déplacé vers le Nord, où il vit près des montagnes et des lacs vierges et où il prend des cours d’histoire. “C’est la chose la plus horrible qui n’a jamais eu lieu ici,”. “Je n’ai vraiment aucun mot pour le décrire.”

La fonderie n’est pas en hauteur, mais elle domine la côte. En faisant ses courses dans un magasin de sport au centre commercial, Krilla Bjork, 61 ans, affirme qu’elle a été ravie de voir tous ces nouveaux magasins et ces nouvelles maisons. De la fonderie, elle dit, “ce n’est pas beau, mais je l’accepte parce que c’est nécessaire.”

Traduction SDT: http://www.acme-eau.org/Les-cheminees,-dans-un-desert-blanc,-divisent-l-Islande_a1342.html

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