Jul 14 2010

Le premier procès post-faillite en Islande

Le premier procès lié aux évènements de la crise économique a continué hier. Neuf participant-e-s au “soulèvement des couverts” (nom donné aux manifestations qui ont entraîné la chute du gouvernement en février 2009, en référence à l’utilisation de couverts, poêles et casseroles par une foule bruyante) sont poursuivi-e-s pour avoir “compromis l’autonomie du parlement”.

Neuf citoyen-ne-s islandais-es ont comparu au tribunal hier, concernant les évènements qui ont suivi la faillite économique de l’Islande en 2008. Chacun-e risque jusqu’à seize ans de prison. Pourtant, aucun-e ne fait partie des politiciens, banquiers ou businessmen qui ont laisse le pays avec une dette paralysante de 50 milliards d’euros. Illes en sont plutôt l’opposé.

Les Neuf de Reykjavik (RVK9) sont un essaim d’islandais-es qui sont entré-e-s légalement au parlement pour exiger la démission de leurs politiciens ; un mois et demi avant la chute du gouvernement. Illes sont tou-te-s poursuivi-e-s pour avoir compromis “l’autonomie” du parlement.

En avril cette année, un rapport parlementaire a dénoncé la “négligence flagrante” de sept individus au pouvoir, les rendant responsables de la paralysie économique de l’île. D’après Johanna Sigurdardottir, nouvelle premier ministre du pays, “les banques privées ont échoué, le système d’encadrement a échoué, les politiques ont échoué, l’administration a échoué, les média ont échoué, et l’idéologie d’une économie de marche non réglementée a complètement échoué.”

Paradoxalement, ce sont celleux qui au même moment luttaient contre l’ordre établi qui sont poursuivi-e-s.

Les neuf ont été choisi-e-s parmi un groupe d’une trentaine de personnes qui sont entré-e-s légitimement dans l’Althingi (le parlement islandais) le 8 décembre 2008. Illes faisaient partie d’un mouvement populaire de plusieurs milliers de personnes qui descendaient régulièrement dans la rue, en réponse à la crise économique de l’hiver 2008-2009. Certain-e-s avaient prévu de lire un communiqué aux parlementaires depuis les tribunes publiques ; d’autres ont simplement suivi le mouvement. “Nous n’étions évidemment pas armé-e-s, nous n’avions pas les poings levés et nous n’avions même pas de pancartes ou quoi que ce soit qui aurait pu nous servir d’arme. Nous ne criions pas ou ne proférions pas de propos injurieux. Rien de tout ça.”, affirme Solveig Jonsdottir, une des neuf accusé-e-s.

Pourtant, une fois à l’intérieur, les gardes du parlement ont utilisé la force pour bloquer l’accès des manifestants à la tribune. Les querelles ont amené quelques légères blessures, la plus sérieuse étant une entorse au doigt d’un garde, cause par un autre garde comme le prouve les vidéos des caméras de surveillance. Deux manifestant-e-s ont réussi à atteindre la tribune, s’écriant avant d’être éloignés: ” Sortez ! Barrez-vous ! Ce bâtiment n’a plus d’utilité !”

Au total, le parlement proche de sa dissolution a perdu une heure de session. Pour cela une loi datant de 1940 a été ressortie, pénalisant “Quiconque attaquant le Parlement de façon à mettre en danger son autonomie, transmettant un message à cette fin, ou obéissant à un tel message”. La condamnation va d’un an de prison à la prison a perpétuité, soit 16 ans selon la loi islandaise.

Beaucoup voient en ce procès une manoeuvre politique. Bien que le précédent gouvernement ait été forcé de démissionner par le “soulèvement des couverts”, de nombreux membres de l’ordre établi de l’époque, aujourd’hui discrédités, sont toujours au pouvoir. Par exemple, le directeur de la banque centrale et ancien premier ministre à long terme, David Oddson, a démissionné après avoir été accusé de “négligence extrême” ; il a simplement changé de secteur en devenant le co-éditeur du plus important journal islandais, Morgunbladid.

C’est peut-être la raison pour laquelle les Neuf de Reykjavik reçoivent si peu de bienveillance à travers l’encre de la presse islandaise. L’Islande se flatte d’être le fer de lance de la protection légale des journalistes d’investigation. Pour autant, le principal avocat des droits humains Ragnar Adalsteinsson affirme que ses propres média n’ont laissé aucune chance aux Neuf de Reykjavik de faire face à un procès impartial.

“Nous sommes des exemples”, affirme Ragnheidur Esther, une des accusé-e-s. Depuis le prêt d’urgence du FMI en 2008, l’Islande doit tout faire pour ranger ses “couverts”. Néanmoins, plus de sept cents autres participant-e-s au soulèvement ont signé une pétition exigeant que les charges pesant sur les neuf soient abandonnées, ou bien “qu’illes soient également poursuivi-e-s pour avoir attaqué le parlement”. D’après l’auteur de la pétition Bryndis Bjorgvinsdottir, “illes étaient bruyant-e-s, illes l’ont perturbé – mais illes n’ont pas utilisé la violence – tout comme les Neuf de Reykjavik.”

En raison des vacances d’été, les audiences du procès des Neuf de Rekjavik s’étendront probablement jusqu’à l’hiver. La prochaine session est prévue pour le 17 août.

Náttúruvaktin